Cet article a été publié dans l’édition 2020 de la revue le l´Association Française du Hautbois (AFH).
En jouant il est essentiel de le faire naturellement. Pour y parvenir il est très utile d’utiliser des images mentales qui nous permettent de suivre la ligne du phrasé ou d’imaginer le caractère d’une certaine note, sa hauteur, sa projection et son amplitude. Mais aussi utiles que soient ces images —en fait, elles peuvent être plus efficaces au moment du concert que toute approche théorique ou purement technique— il est important de connaître préalablement le fait physique réel que produit le son et comment il peut être contrôlé. De cette façon, l’instrumentiste pourra utiliser toute la gamme des variations que le son offre pour enrichir son interprétation, et il pourra également détecter et corriger les éventuelles imperfections et ainsi établir, faire évoluer et automatiser les bons mécanismes, tant pour lui-même que pour ses élèves.
CARACTÉRISTIQUES DU SON
Il est peut-être plus facile de décrire de quel point de vue nous allons décrire le son dans cet article et comment nous le travaillerons si nous comparons la musique avec un autre art: la peinture. Vue de près et d’une manière froidement objective, une peinture n´est plus qu´un mélange de pigments répartis d’une certaine manière par la toile. Mais la magie est que grâce au talent du peintre les couleurs, les formes, les nuances et les contrastes sont combinés de manière à stimuler la sensibilité de ceux qui le regardent. Tout comme cet artiste doit savoir élaborer ses propres couleurs avant de se mettre au travail avec sa peinture, le musicien a besoin d’explorer, de maîtriser et d’utiliser toutes les possibilités sonores de son instrument pour que son interprétation soit complète. À l’école, nous apprenons que la couleur verte est obtenue en mélangeant de la peinture bleue et jaune et l’orange en mélangeant du jaune et du rouge, mais dans notre cas il est pratique de se demander également quels sont les éléments de base qui composent le son, comment pouvons-nous travailler dessus pour les maîtriser et comment les combiner et les utiliser dans notre interprétation.
De ce point de vue purement analytique nous pourrions décrire le son comme doté de trois qualités fondamentales, le timbre, la hauteur et l’intensité, dont la combinaison provoque différentes sensations à l’oreille, tout comme les couleurs et les formes d’une peinture le font à travers la vue. Ensuite, nous expliquerons le fait physique qui détermine chacune de ces qualités de manière simplifiée mais suffisante pour le comprendre, et un peu plus loin nous expliquerons avec une série d’exercices comment chacune d’elles peut être contrôlée.
LE TIMBRE
Un instrument à vent se compose essentiellement d’un tube muni d’un mécanisme à une extrémité — l’anche dans le cas du hautbois— capable d’exciter l’air qu’il contient. Les vibrations ainsi produites sont perçues par nos oreilles comme du son. Mais lorsque vous écoutez une note, ce qui est réellement entendu n’est pas un son simple comme celui qu’un diapason produirait, mais plusieurs sons simultanés formés par une multitude d’ondes qui se combinent les unes avec les autres. En d’autres termes, un son fondamental et d’autres sons plus faibles appelés harmoniques ou partiels. Par exemple, lorsque vous écoutez un Do, ce que vous entendez vraiment c’est cette note plus sa série d’harmoniques:

Plus important encore est le fait que toutes les harmoniques de la série ne sont pas présentes à la même intensité. La raison du timbre distinctif et de la couleur caractéristique du son des instruments réside précisément dans l’intensité différente avec laquelle chaque harmonique sonne dans chacun d’eux. En effet, les différentes parties de l’instrument et les matériaux avec lesquels ils sont construits ont leur propre capacité de vibration, et la combinaison de toutes ces différentes vibrations est ce qui donne à l’instrument sa gamme différenciée d’harmoniques. Si l’un de ces éléments variait, le son changerait également. Si l’on compare le spectre harmonique de divers instruments —dans lequel les harmoniques de chacun sont représentés avec leur intensité respective— il est facile de voir la différence entre eux:

LA HAUTEUR
La hauteur du son est déterminée par sa fréquence, qui est la vitesse de la vibration qui se propage dans l’air et est mesurée en hertz (Hz), ou le nombre de vibrations par seconde. Lorsque l’orchestre La est réglé sur 442 Hz, cela signifie que l’air oscille 442 fois par seconde. Dans les notes graves, les vagues se déplacent plus lentement que dans les notes aiguës. Par exemple, le A de l’octave supérieure est réglé sur 884 Hz. Le rapport de deux notes d’octaves différentes est deux fois la fréquence de l’octave supérieure et la moitié de celle de l’octave inférieure.
Le tube de l’instrument peut produire par lui-même un son fondamental unique —dans le cas du hautbois, ce serait un Sib grave—, qui est déterminé par sa longueur: plus le tube est long, plus le son est grave et plus court il sera plus aigu —ce fait est facile à voir en comparant les tailles du hautbois et du cor anglais—. Mais la longueur acoustique de l’instrument peut être modifiée en faisant une série de trous, et en les bouchant ou en les découvrant avec les doigts différentes longueurs du tube sont obtenues, et avec cela, différents sons fondamentaux sont produits.
Même ainsi, de cette façon ils ne peuvent être atteints dans le hautbois qu’un peu plus que les notes de la première octave —entre le Sib grave et le do medium—, mais comme expliqué dans la section précédente, son son fondamental contient sa série d´harmoniques, et c’est précisément cette caractéristique du son qui peut être utilisée pour obtenir le reste des notes de l’instrument. Ceci est réalisé en utilisant les clés d’octave, mais il est très important de noter qu’il est également nécessaire d’augmenter la vitesse de l’air pour stabiliser la note, comme nous l’expliquerons dans les exercices proposés à la fin de cet article —trés souvent les débutants ont des problèmes pour garder la hauteur des notes de la deuxième octave précisément en raison d’un manque de vitesse de l’air, ce qui rend ces exercices particulièrement intéressants—. Grâce à cette procédure, à partir des doigtés de la première octave, les notes de la deuxième octave peuvent être obtenues, qui sont leurs secondes harmoniques respectives.
Les notes les plus aigues sont obtenues par la même procédure por obtenire des partiels d’ordre supérieur des notes fondamentales, bien que dans ce registre il n’est pas toujours facile de déduire de quelle fondamentale provient chaque note car les doigtés originaux sont complétés par l’utilisation d’autres clés pour améliorer sa justesse. Par exemple, le Re aigu est en fait un Sol grave avec le démi-trou ouvert —il sert de clé d’octave et fournit la troisième harmonique, Re— et la clé de Do grave est ajoutée pour l’abaisser un peu. Le Do # aigu vient de la position du Fa # grave avec des corrections similaires.
Les sons appelés «harmoniques» sont obtenus en produisant certaines notes à partir d’un fondamental différent de l’ordinaire. Par exemple, le La5, qui est normalement obtenu comme deuxième harmonique du La4 dans le hautbois en utilisant la première clé d’octave, peut également être obtenu comme troisième harmonique du Re4, en utilisant la seconde. Le timbre de ces harmoniques est plus doux et plus voilé que celui des notes obtenues avec les doigtés habituels.
L´INTENSITÉ
La sensation que l’auditeur a d’un instrument jouant avec une intensité —volume— plus ou moins grande est déterminée par l’amplitude du mouvement vibratoire à l’origine du son —rappelez-vous que la hauteur du son, par contre, est liée à sa vitesse—, et dans le cas des instruments à vent dépend de la quantité d’air qui passe par l´embouchure: plus la quantité d’air est grande, plus l’amplitude de l’onde est large et moins il y a d’air, moins l’amplitude est grande. La tessiture de la note influence également cette perception de l’intensité, bien que de façon moindre et son incidence reste en dehors de cette analyse simplifiée.
DEUX PRINCIPES FONDAMENTAUX POUR COMPRENDRE LA TECHNIQUE DE SON
Compte tenu de tout ce qui précède, deux principes de base peuvent être exprimés qui nous aideront à travailler de manière objective et empirique sur la technique du hautbois:
- À une vitesse d’air plus élevée, la vibration produite est plus rapide et le son monte, et vice versa.
- Plus de quantité d´air plus la vibration produite est large, plus le son est fort, et vice versa.
Ces déclarations sont apparemment très simples et peuvent être résumées dans le graphique suivant. Mais malgré leur simplicité, elles ont de implications importantes que nous décrirerons dans ces pages.

Quatre notes sont représentées sur le graphique. En prenant la note représentée avec le cercle noir comme référence, nous verrons que les autres ont certains paramètres en commun avec elle et d’autres différents, qui doivent être compris et pris en compte pour faire un travail efficace:
- La note gris foncé est plus aigue que la noire mais a la même intensité, donc elle aura besoin de plus de vitesse d’air —en plus de l’aide de la clé d’octave— mais pas plus d´air.
- La note gris clair sonne plus fort que la noire, bien qu’elle soit à la même hauteur. Nous aurons besoin de plus d’air mais à la même vitesse, sinon la hauteur du son changerait.
- Enfin, la note blanche, étant plus aigue et plus forte que la noire, aura besoin à la fois de plus de vitesse et de quantité d’air en même temps.
LE CONTRÔLE DU SON DU HAUTBOIS
Il est facile de décrire les éléments qui composent le son, mais lorsque l’on essaie d’expliquer comment chacun d’eux est contrôlé, le problème principal est que tous les mécanismes qui le permettent sont cachés, car ils ont lieu au sein de l’instrumentiste. De plus, ces mécanismes peuvent interférer les uns avec les autres si les corrections appropriées ne sont pas apportées, ce que nous expliquerons ci-dessous.
On peut voir sur une timbale que l’intensité du son dépend de la force avec laquelle le percusionniste frappe ou comment le mouvement vertical des baguettes se dilate quand il joue un crescendo et se rétrécit sur le diminuendo. Il est également apprécié que ce changement de dynamique n’affecte pas la hauteur du son —s´il veut corriger la hauteur du son ou changer la note, il doit faire varier la tension du patch. Cela changera la hauteur du son émis, mais sans affecter son intensité tant que la même force est maintenue dans le coup des baguettes—. Un hautboïste, en revanche, dépend des impressions subjectives pour expliquer le fonctionnement de son instrument et doit faire un effort supplémentaire pour analyser ce qu’il fait en jouant et pouvoir l’expliquer aux autres. Par exemple, si vous voulez voir comment vous réalisez un crescendo sans l’avantage de pouvoir voir le mouvement des baguettes du percussionniste, vous devez vous concentrer sur la façon dont le support dans le diaphragme augmente dans ce cas et diminue avec le diminuendo.
LES IMPRESSIONS TROMPEUSES
Étant des sensations subjectives qui peuvent être décrites de plusieurs façons, il y a souvent de nombreux malentendus sur ce qui influence réellement l’émission du son. Par exemple, il est parfois suggéré qu’un plus grand support du diaphragme est nécessaire pour maintenir les notes aigues, mais cela ferait en fait plus d’air s’échapper et donc un son plus fort, ce qui n’est pas le effet que nous souhaitons obtenir. Comme nous l’avons vu, ce dont ces notes ont besoin c’est de plus de vitesse d’air, pas de plus de quantité. Cette augmentation de vitesse est obtenue en comprimant l’air dans la cavité buccale de la manière que nous expliquerons dans les exercices, mais le support dans le diaphragme doit être maintenu constant pour une intensité donnée.
On peut également penser que nous jouons plus fort lorsque nous ouvrons l’embouchure. Il est vrai que dans le forte l’embouchure doit être plus ouverte que dans le piano, mais ce n’est que la correction nécessaire pour laisser passer plus d’air et qu’il ne soit pas trop compressé, ce qui augmenterait la hauteur du son. Nous jouons plus fort parce que plus d’air sort à mesure que le support du diaphragme augmente, mais il est très important de ne pas confondre le mouvement principal avec la correction nécessaire.
Un autre malentendu très habituel concerne les fins de phrases en piano. Il n’est pas vrai que plus de pression d’air est nécessaire dans le pianissimo. On peut avoir ce sentiment, mais c’est seulement parce que jouer avec moins d’air à ce moment nécessite un peu plus d’effort pour maintenir une pression égale. La pression et avec elle la vitesse de l’air pour une certaine note doit toujours être maintenue constante, sinon cela changerait sa hauteur.
EXERCICES
Les exercices suivants sont destinés à isoler chacun des mouvements impliqués dans la production du son afin de pouvoir contrôler chacun à volonté. Il est important de les travailler pas à pas et en ayant pleinement conscience du but de chaque exercice et du geste technique utilisé. Le timbre du son est influencé par des aspects tels que le hautbois et l’anche utilisés et il est possible de travailler dessus avec un léger mouvement de l´embouchure, mais en pensant à travailler sur la technique d’émission de base et à ne pas trop compliquer le travail, ces exercices sont conçus pour contrôler principalement les paramètres d’intensité et de hauteur du son en utilisant les mécanismes les plus appropriés et les plus efficaces.
Exercices uniquement avec l´anche
Il est conseillé de toujours commencer le travail quotidien en faisant des exercices uniquement avec l´anche, soit comme échauffement, soit dans le cadre de l’étude de la technique. Des exercices de ce type peuvent être effectués avec des étudiants de tout niveau, augmentant progressivement leur complexité.
1.- Nous jouons une longue note avec l’anche. Peu importe ce quelle note est exactement —elle se situe généralement entre un Si et un Do aigus— car elle peut varier en fonction de l’ouverture et de la force de l’anche, mais il est important que le son reste stable, sans variation de hauteur ou d’intensité. Il est préférable de commencer à pratiquer cet exercice sur une note relativement grave, surtout avec les débutants, car ils ont généralement une certaine tendance à se resserrer avec l’embouchure si on leur en demande une plus aigue. Cet exercice nous permet de prendre conscience du soutien du diaphragme et du contrôle détendu de l´embouchure.

2.- Nous jouons la même note que dans l’exercice précédent, mais dans ce cas avec un crescendo-diminuendo, augmentant et relâchant progressivement le support dans le diaphragme. Il faut corriger doucement l’ouverture de l’embouchure pour compenser le différent flux d’air, mais il ne faut pas penser que c’est ce mouvement qui produit le changement de dynamique. Il faut veiller à ce que dans cet exercice seule l’intensité du son varie, pas sa justesse.

3.- Revenant à la note initiale, nous maintenons le support dans le diaphragme constant pour atteindre la même intensité tout au long de la note, mais nous monterons et baisserons alternativement l’arrière de la langue pour augmenter et baisser le son d’environ un demi-ton. Ce mouvement comprime l’air et lui donne ainsi de la vitesse, ce qui fait monter le son. C’est le même mouvement que plus tard nous devrons faire sun changement de tessiture. Si ce mouvement n’est pas réalisé, il peut facilement être pratiqué en chantant O-I-O-I-O-I-O devant un miroir sans bouger les lèvres. De cette façon, il est facile de sentir le mouvement de la langue. Une fois l’exercice maîtrisé, on peut ajouter plus de notes à une distance de demi-ton, ce qui augmentera notre contrôle sur l’émission des notes aigues. Il faut à tout moment s’assurer que l’embouchure n’intervient pas, ce qui entraînerait un changement de la qualité du son en modifiant la proportion des harmoniques que nous avons décrites au début de cet article.

4.- Ce quatrième exercice doit être pratiqué une fois la technique bien établie, car on aura besoin de combiner les deux précédents et les mécanismes utilisés peuvent s’interférer ou se confondre. Il consiste à répéter l’exercice précédent avec un douce mouvement de crescendo-diminuendo, sachant que c’est le changement de support dans le diaphragme qui permet de modifier la dynamique et le mouvement simultané de la langue qui change la hauteur de la note.

Exercices avec le hautbois
5.- Avec le hautbois, nous ferons l’exercice numéro 1 de cette série sur différentes notes du registre edium-grave pour nous assurer que le support dans le diaphragme se garde inchangé, l’embouchure détendue et le son reste stable.

6.- Sur chacune des notes de l’exercice précédent, un mouvement crescendo-diminuendo, pour ressentir la variation du support dans le diaphragme qui permet le changement de dynamique et le mouvement de l’embouchure qui le compense pour ne pas influencer la justesse , comme dans l’exercice numéro 2.

7.- Exercice d’octaves sur les notes graves sans changement d’intensité, en faisant attention au mouvement de la langue qui assure l’accord sans avoir besoin de resserrer avec l’embouchure. Le support sur le diaphragme doit rester constant pour ne pas modifier la dynamique. La tentation de pousser la note aiguë doit être évitée, car les deux notes doivent rester au même niveau sonore dans cet exercice.

8.- C’est la combinaison des deux exercices précédents et consiste en un changement de tessiture accompagné d’un changement d’intensité. Comme dans l’exercice équivalent avec l´anche, une attention particulière doit être portée pour ne pas confondre les deux mécanismes impliqués: la variation du support dans le diaphragme est ce qui change la dynamique et le mouvement de la langue assure l’accord des notes aiguës sans intervention de l’embouchure —sauf dans une certaine mesure dans le registre suraigu, qui n’est pas le sujet de cet article, axé sur la technique de base générale—.

CONCLUSION
Tous les aspects expliqués ici mériteraient à eux seuls un article monographique. Le but de ce travail n’a été que de provoquer une réflexion sur le fonctionnement réel de l’instrument et sur les facteurs objectifs intervenant dans la production du son, afin que chaque instrumentiste puisse expérimenter jusqu’à trouver sa propre manière de jouer, celle qui sera la plus efficace pour lui.